Des usages de la fiction à l'oeuvre dans les images fixes

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Chauvin, Marielle, “Des usages de la fiction à l'oeuvre dans les images fixes,” Bibliothèque numérique Paris 8, consulté le 19 avril 2024, https://octaviana.fr/document/158962257.

À propos

Lorsque nous pensons à des œuvres d’art, ce sont généralement des œuvres de fiction. En effet, s’il s’agit d’une œuvre écrite, c’est un roman, un poème qui sera l’objet de notre choix davantage qu’un livre d’Histoire ou un manuel quelconque. Si nous pensons image, la dénomination « œuvre d’art » sera alors donnée à une peinture ou bien encore à un film de fiction plus qu’ à un diagramme ou à un documentaire. En somme, la fiction est implicite dans notre évaluation d’un objet en tant qu’œuvre d’art et semble pourtant échapper à nos critères. Dans une réflexion esthétique contemporaine, cette prise de conscience quant au statut de la fiction et à son rôle dans le fonctionnement de certains objets en tant qu’œuvre est une question de taille, constituée de silence notamment en philosophie. Si la philosophie de l’art ne pense donc pas la fiction à l’œuvre dans nos œuvres d’art, elle en ignore peut-être également sa part et cette forme de cécité est d’autant plus problématique que les pratiques artistiques se jouent constamment d’une perméabilité latente entre fictionalité et référentialité, imitation et témoignage et soulèvent des débats qui touchent pourtant précisément à des questions imminentes de philosophie morale ou de métaphysique. Lorsqu’il s’agit d’images, et de surcroît de photographie, le problème de la référentialité est accru car le document photographique, en tant que moyen d’enregistrement, est indiciel. Sous les lumières de la sémiotique peircienne, l’indice se fait trace minimale et inclut l’incertitude existentielle, invitant la fictionalité dans toute photographie. Il est donc une nécessité philosophique, me semble-t-il, à penser la fiction à l’œuvre dans ces pratiques photographiques, dans lesquelles le dispositif, la forme, l’esthétique interrogent l’éthique et vice-versa. Dans les Carnets 1914-1916, Wittgenstein écrit d’ailleurs : « L’œuvre d’art, c’est l’objet vu sub specie aeternitatis ; et la vie bonne, c’est le monde vu sub specie aeternitatis. Telle est la connexion entre l’art et l’éthique. »` L’enjeu de cette compréhension entre éthique et esthétique est majeur quant à l’appréciation de la pratique contemporaine de la photographie, tant celle-ci est devenue un médium majeur de l’art contemporain, utilisée en tant que telle, de manière souvent sérielle, afin de créer du récit, ou intégrée à des pratiques performatives. Pour me guider dans ce foisonnement de pratiques hybrides, j’ai choisi l’œuvre de Jeff Wall, artiste et historien de l’art canadien connu pour ces « tableaux photographiques », véritables fictions documentaires, cybachromes de grande taille placés dans des caissons lumineux à la manière de publicités. L’œuvre de Jeff Wall est à la fois photographique au sens strict tout en se montrant dans un dispositif très contemporain. L’image choisie, The storyteller, problématise à tous les niveaux la question de la fiction. Wittgenstein écrit dans les Remarques sur les couleurs : « Ainsi je décrirais la photographie, et si quelqu’un disait que cela décrit non pas la photographie, mais les objets qui vraisemblablement ont été photographiés, tout ce que je pourrais dire, c’est que l’image est telle qu’on dirait que les cheveux étaient de cette couleur. » S’il n’y a pas, à proprement parler, d’ « esthétique wittgensteinienne », c’est de cette prudence observationnelle que la photographie contemporaine a le plus besoin aujourd’hui et une philosophe de l’art à l’écoute de Wittgenstein reste encore à construire. L’esthétique et l’éthique appartiennent, pour le philosophe autrichien, au domaine de l’indicible sans pour autant que ceux-ci ne soient rendus au pur mysticisme. En effet, l’indicible est aussi le champ de la monstration, de la vision, d’une sensibilité aux aspects. D’une certaine manière, voir dans une œuvre d’art un geste revient aussi à lui prêter la capacité de montrer. Dans nos jugements esthétiques, nous utilisons des mots, et dans ce souci de monstration, Wittgenstein va s’intéresser, notamment dans les Leçons sur l’esthétique, à l’usage et c’est donc en termes de « jeux de langage » qu’il aborde les questions esthétiques, c’est-à-dire de la même manière que les questions conceptuelles. Sur cet aspect conceptuel, Wittgenstein écrit dans les Remarques mêlées : « Rien n’est plus important que l’élaboration de concepts fictifs, qui seuls nous apprennent à comprendre les nôtres. » Au cœur même d’un questionnement esthétique wittgensteinien, nous retrouvons celle de la fiction conçue ici en termes d’usage, entendue dans le fonctionnement de «jeux de langage ».

When we think of works of art, they are actually works of fiction. Indeed, if it is a written work, we would rather choose a novel, or a poem rather than a History book or another of some kind. If we are thinking about an image, the title "work of art" will be given to a painting or even a fiction movie more than a diagram or a documentary. In short, fiction is implicit in our assessment of an object as a work of art, and seems to escape our criteria. In a contemporary aesthetic thinking, that awareness about the status of fiction and its role in the functioning of certain objects as a work is a question of size, consisting of silence especially in philosophy. If the philosophy of art does not think the fiction in the work, in our works of art, it also may not know its part and this form of blindness is even more problematic than the artistic practices and it will always be a latent permeability between fiction and reference, imitation and testimony and raise debates that touch yet precisely issues of moral philosophy or metaphysics. When it comes to images, and additional photography, the problem of reference is increased because the photographic document as a means of recording is index. Under the lights of the Peircean semiotics, the index is minimal and includes existential uncertainty, inviting the fiction in any photography. It seems that it is a philosophical necessity, to think of fiction in the work in the photographic practices, in which the device, form, aesthetics, are questioning ethics and vice versa. In fact, in“the Notebooks” 1914-1916, Wittgenstein wrote: "The work of art is the object seen sub specie aeternitatis, and the good life, is the world seen sub specie aeternitatis. That is the connection between art and ethics."` The implications of this understanding between ethics and aesthetics are important in assessing the contemporary practice of photography, as it has become a major medium of contemporary art, used as such, so often serial to create the story, or integrated with performative practices. To guide me through this abundance of hybrid practices, I chose the work of Jeff Wall, artist and art historian known for his Canadian "photographic paintings" true fiction documentary cybachromes large light boxes placed in the manner of advertisements. The work of Jeff wall is both photographic in the strict sense while being a very coeval device. The chosen image, “The storyteller”, at all levels question fiction. Wittgenstein wrote in “Notes on colors”: "So I would describe the picture, and if someone said that it doesn’t describes photography, but the objects that were photographed, all we can say is that the image is as it seems and that the hair was that color”. If there is not, strictly speaking,“ Wittgensteinian aesthetics”, it is this cautious observational contemporary that is most needed,these days by contemporary photography and a philosopher of art to listen to Wittgenstein yet to be built. Aesthetics and ethics belong to the Austrian philosopher, the area of the unspeakable without that they are rendered in pure mysticism. Indeed, the unspeakable is also the scope of the demonstration, vision, and sensitivity to issues. Somehow, even in a work of art comes as a gesture to give him the ability to show. In our aesthetic judgments, we use words, and in this demonstration of concern, Wittgenstein is interested, including “the Lessons on Aesthetics”, to use and is thus in terms of "language games" that it deals with aesthetic issues, that is to say the same manner as the conceptual issues. On the conceptual side, Wittgenstein wrote in “The mixed Remarks”: "Nothing is more important than the development of fictitious concepts, only the, we learn to understand ours.” At the heart of a wittgensteinian aestethic questioning, we find the questioning of fiction here conceived in terms of use, heard in the operation of "language games".

Sujets

Art et photographie Référence (philosophie) Théorie de la fiction Image (philosophie)

Auteur

Chauvin, Marielle

Collaborateur

Prado Junior, Plinio Walder (sous la direction de)

Source

Paris 8, BU - Saint-Denis, Magasin 2, TH2964

Date

2010

Identifiant

158962257

N° national de thèse

2010PA083340

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Discipline (Thèse)

Philosophie

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