Une famille bourguignonne au XVIIIe siècle

Collection

Ernest Labrousse

Citer ce document

Bezard, Yvonne (1893-1939), “Une famille bourguignonne au XVIIIe siècle,” Bibliothèque numérique Paris 8, consulté le 29 mars 2024, https://octaviana.fr/document/FELNM066.

À propos

Monographie du fonds Labrousse

"La publication de plusieurs beaux ouvrages a de nouveau éveillé dans le public le désir de savoir plus exactement ce que fut la vie familiale de nos ancêtres. Malgré les mémoires et les correspondances déjà connus, le nombre des documents paraî tréduit et les généralisations qu’ils peuvent suggérer assez hâtives, si l’on pense au nombre de foyers qui se sont éteints sans laisser d’histoire. Les lettres intimes, les livres de raison que l’on découvrira encore seront les bienvenus ; ils pourront rectifier une erreur, ajouter au tableau d’ensemble quelques traits inédits.

Rarement aussi on a le bonheur de pouvoir suivre dans toutes les étapes de leur vie les divers membres d’une même famille pendant trois quarts de siècle. Cette chance nous a été accordée au château de Gemeaux (Côte-d’Or). Des correspondances familiales d’une abondance et d’une richesse considérables y sont conservées. Elles furent reçues presque toutes par Charles-Catherine Loppin, baron de Gemeaux, avocat général au Parlement de Bourgogne (1714-1805). Ce magistrat intelligent et très cultivé, qui naquit sous Louis XIV et mourut sous Napoléon, entretint pendant plus de soixante ans des correspondances abondantes et régulières ; il garda toutes les lettres envoyées par des parents et des amis souvent illustres, avec les minutes des réponses soigneusement épinglées, aussi bien que les correspondances d’affaires relatives à l’administration de son domaine et les billets les plus intimes où se dévoile la vie de son foyer. Nous avons publié d’abord une série de lettres qui nous ont paru curieuses pour l’histoire littéraire et l’histoire générale. Aujourd’hui nous voudrions apporter une contribution à l’étude de cette vie familiale qu’il importe avant tout de connaître pour bien comprendre l’ancienne France. Nous avons été vivement encouragé dans notre travail par la comtesse de Charry-Lucy, née de Gemeaux, qui a bien voulu nous aider de ses précieux conseils et nous faire part des traditions orales qui complètent heureusement les témoignages écrits.

On se représente souvent la famille de l’Ancien Régime comme une organisation très solide, mais où le sentiment ne jouait pas un grand rôle, où les parents gardaient une autorité absolue mais ne s’occupaient guère de leur descendance dans la vie quotidienne. A Gemeaux, nous avons rencontré un père et une mère qui ne vécurent que pour leurs enfants et se consacrèrent à leur éducation, s’arrêtant aux détails les plus minutieux ; un foyer où il y avait plus encore de tendresse que d’autorité sévère. Nous y avons saisi sur le vif l’évolution qui se fit sous l’influence de Rousseau. Le baron de Gemeaux, très épris des idées nouvelles, voulut, dans une certaine mesure, appliquer les principes de Jean-Jacques à l’éducation de ses enfants. Le style même des lettres nous a montré comment les relations entre les époux, entre les parents et les enfants changèrent d’une génération à l’autre : la solennité d’autrefois se détend pendant les années qui précèdent la Révolution ; la familiarité se traduit par des appellations nouvelles ; les effusions sincères, mais un peu déclamatoires remplacent l’affection contenue et dissimulée sous un ton d’enjouement que les grands-parents exprimaient encore en des lettres qui avaient le tour du Grand Siècle. Nous avons vu les conséquences de cette éducation à la Jean-Jacques, expérience généreuse d’un noble cœur, la part d’utopie qu’elle contenait et comment les enfants de Gemeaux, prenant trop à la lettre les conseils du maître, se heurtèrent parfois aux dures réalités d’une société encore rigoureusement hiérarchisée. Les parents empêchèrent les mésalliances qui tentèrent chacun des garçons auxquels on avait prêché la beauté du sentiment et de la nature. Cependant, le père n’usa jamais des rigueurs que les coutumes du siècle autorisaient ; il ne maria pas ses enfants contre leur gré et il fut heureux lorsque deux de ses fils eurent enfin la chance de rencontrer un amour que la raison approuvait.

D’autres points de l’histoire sociales ont aussi éclairés par les archives de Gemeaux. Nous apprenons comment un seigneur du XVIIIème siècle, resté fidèle à la terre, vivait sur son domaine, quelles carrières il pouvait choisir pour ses fils et quelles démarches il devait multiplier pour les obtenir. La vie des châtelains de Gemeaux pendant la Révolution, les péripéties qui leur firent perdre et retrouver leur fortune ne manquent pas non plus d’intérêt.

Enfin,si l’historien habitué à réfléchir sur l’évolution des idées et des mœurs peut trouver des renseignements utiles dans les lettres conservées à Gemeaux, les simples curieux d’aventures romanesques aimeront les récits où les enfants de l’avocat général racontent leurs amours naïves. Malgré la phraséologie de l’époque ils peuvent mieux nous toucher que les inventions de romanciers habiles, puisqu’ils furent profondément vécus et qu’il y eut bien de la sincérité dans les larmes que la mode du temps n’obligeait pas à dissimuler."

Avant-propos d'Une famille bourguignonne au XVIIIe siècle, par Yvonne Bezard.

Sujets

Famille -- France -- Bourgogne (France) -- 18e siècle Loppin de Gemeaux, Charles-Catherine (1714-1805)

Auteur

Bezard, Yvonne (1893-1939)

Source

Paris 8, BU - Saint-Denis, Magasin 3, FEL 938

Éditeur

Paris : Albin Michel

Date

1930

Identifiant

FELNM066

Droits d'accès

Accessible à tous

Conditions d'utilisation

Toute reproduction même partielle est interdite sans accord exprès de l'auteur ou de ses ayants-droits

Domaine (Dewey)

929.2 Histoire des familles célèbres