Lutter contre les VSS en France et en Allemagne : entre freins internes et externes - un chemin miné, des militant·e·s déterminé·e·s

À propos

La France et l’Allemagne fêtent le 60ème anniversaire du Traité de l’Élysée, grand « symbole de la réconciliation franco-allemande » cette année 2023. Ce traité a été mentionné plusieurs fois pendant ma licence d’études interculturelles franco-allemandes, sans laquelle je n’aurais probablement pas décidé de poursuivre une approche comparative dans mes recherches. Il y était souvent question de l’importance européenne du binôme franco-allemand sur le plan politique, diplomatique, économique, militaire, culturel etc, mais nous n’avons que rarement comparé les mouvements sociaux, tels que les féminismes, qui se mobilisent dans ces deux pays voisins. Ce travail a pour modeste ambition de comparer à son échelle deux paysages militants aux contextes et histoires très différentes afin d’en souligner les similitudes et les différences. Les militant·e·s de ces deux pays n’utilisent pas toujours les mêmes moyens pour lutter à leur échelle contre les violences sexistes et sexuelles.

Il y a de cela 3 ans, j’ai choisi comme point de départ de ma recherche la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2016, souvent appelée la « nuit de Cologne » ou la Kölner-Silvesternacht, au cours de laquelle de multiples agressions de diverses natures ont eu lieu dans l’espace public à Cologne. Les échos médiatiques et politiques de cet évènement se sont fait ressentir jusqu’en France et j’étais loin d’avoir conscience de l’impact que cette nuit a eu sur le discours politique, médiatique, juridique et militant en Allemagne. Ce qui m’avait marquée dans cette affaire, c’était le prisme principal de lecture retenu dans la presse : « des hommes ‘à l’apparence arabe’, peut-être réfugiés, ont commis des violences, en particulier sexuelles, contre des femmes blanches. » Une lecture correspondant de toute pièce aux narratifs véhiculés par les rhétoriques fémonationalistes se multipliant dans plusieurs pays d’Europe.

Le fémonationalisme est un concept forgé par Sara R. Farris, sociologue anglaise. Dans son ouvrage In the Name of Women’s Rights – The Rise of Femonationalism (2017) elle le définit de la sorte : « Le fémonationalisme renvoie à la fois à l’exploitation des thèmes féministes par les nationalistes et les néolibéraux dans les campagnes anti-islam et à la participation de certaines féministes à la stigmatisation des hommes musulmans sous la bannière de l’égalité des sexes. » Ce concept est un outil d’analyse précieux, mais comme le rappelle Magali Della Sudda dans son ouvrage Les Nouvelles Femmes de droite, les mêmes ressorts discursifs véhiculant une idéologie raciste peuvent être présents dans d’autres mouvements de droite et d’extrême droite, dans le « nationalisme féminin », le « féminisme blanc », le « féminisme occidentaliste », « l’alterféminisme », le « féminisme intégral », le « néoféminisme », ou encore dans un « militantisme pro-femmes » ou dans le mouvement « libertarianiste ». En Allemagne, Gabriele Dietze considère que le fémonationalisme sert surtout à désigner : « la transformation de nombreux féminismes occidentaux en modèles ethnonationalistes. (…) Il désigne le fait dérangeant que, dans le Nord, de nombreux féminismes mainstream cultivent des exceptionnalismes sexuels ethnonationalistes. » Ce concept d’exceptionnalisme sexuel permet de souligner un terrain commun à ces féminismes de droite et d’extrême droite mais aussi, comme le précise Gabriele Dietze, à de nombreux féminismes mainstream, celui de la sexualité et des corps et donc inévitablement celui des violences sexuelles et sexistes (VSS).