Luttes de pouvoir et de légitimité au sein de la distinction entre « hardcore » et « casual » : étude de cas des joueuses françaises d’Animal Crossing, New Horizons en 2020

À propos

Le premier confinement, instauré en France le 17 mars 2020, dans le cadre de mesures sanitaires contre la pandémie du Covid-19, a coïncidé avec la sortie d’Animal Crossing : New Horizons sur Nintendo Switch et a permis de mettre en lumière une franchise assez ancienne mais jusqu’alors peu habituée à recevoir autant d’attention. En effet, selon un article du journal Le Monde, « En Europe aussi, Animal Crossing : New Horizons bat tous les records. [...] Encore obscure il y a quinze ans et bien moins populaire il y a encore quelques semaines que les Super Mario et les autres Pokémon, Animal Crossing rivalise désormais avec les principales sagas de l’histoire du jeu vidéo ». Les ventes du jeu et de sa console, la Switch, ont explosé dans les semaines qui ont suivi sa sortie, propulsant Animal Crossing dans le top 3 des jeux les plus vendus en 2020 - toutes plateformes confondues, en incluant le marché physique et le marché dématérialisé. Selon le Syndicat des Editeurs de Logiciels et de Loisirs (S.E.L.L), Animal Crossing se place ainsi en deuxième position derrière FIFA 217, un jeu de football, mais dépassant Call Of Duty : Black Ops Cold War, un jeu de tir à la première personne. Ces deux jeux étant des AAA très connus et populaires, sortant sur de multiples plateformes de manière régulière depuis plusieurs années, ils réunissent un nombre de passionné·e·s assez important et se retrouvent ainsi très souvent dans les classements des jeux les plus vendus. Ils représentent aussi le symbole de cette industrie très androcentrée, puisqu’il s’agit de jeux reposant sur des univers typiquement « masculins » : le sport, la guerre, le combat. Selon Laurent Trémel, docteur en sociologie à l’EHESS, l’expansion économique du marché du jeu vidéo repose, d’ailleurs, sur l'adéquation entre les jeux mainstreams - dont les franchises comme FIFA et Call Of Duty font partie - et les valeurs néolibérales prédominantes que sont la compétition, la méritocratie, l’individualisme, réunies dans l’adage bien connu : « Que le meilleur gagne ».

A l’inverse, Animal Crossing : New Horizons est un jeu de simulation de vie, disponible uniquement sur Nintendo Switch, dans lequel les joueur·se·s incarnent un avatar personnalisable qui emménage sur une île déserte. Il sera ensuite possible de développer et d’aménager son île à sa guise, de faire emménager d’autres villageois - des Personnages Non Jouables (PNJ) du jeu - et de prendre part à tout un ensemble d'activités (optionnelles) au sein de l’île : pêche, chasse aux insectes, constructions, complétion du musée, évènements spéciaux, etc. Chaque joueur·se peut donc accommoder sa partie comme iel le souhaite. Ainsi, voir apparaître un jeu comme Animal Crossing : New Horizons dans ce classement n’est donc pas anodin. L’attention particulière accordée à cet opus, aussi bien journalistique que commerciale, fut donc assez inattendue et inhabituelle.

De même, dans le champ académique, les jeux vidéo les plus étudiés - notamment sous des problématiques de genre - restent encore les jeux considérés comme « hardcore ». L’intérêt de ce type de travaux, tel que le décrit Anne-Marie Ménard dans son mémoire sur les plaisirs de jeu des joueuses de MMORPG, est ainsi d’étudier « l’engagement des femmes dans les espaces de jeu définis comme “masculins” ». Au contraire, les jeux dits « casual » reçoivent très rarement l’attention de chercheur·se·s, notamment en France.