Le matériau Terre : réalités et utopies

À propos

A la suite du premier choc pétrolier la diffusion du livre de H. Fathy « Construire avec le peuple » et une recherche du Plan construction envisageant la création d’une ingéniérie française de la terre pour construire les habitats populaires des PVD ont suscité un regain d’intérêt pour ce matériau. A partir de ma pratique je me suis proposé de chercher quel pouvait être l’avenir de ce mode de construction dans les architectures vernaculaires et par les interventions des architectes ou ingénieurs.

Les architectures vernaculaires en terre sont présentes dans un domaine géographique immense et une grande variété des mises en œuvre. Des études de cas montrent que les règles qui régissent son utilisation sont plus complexes que l’évidente relation usage/nature du sol car elles mettent en jeu de nombreux facteurs sociétaux. Les modifications des sociétés au cours de l’histoire peuvent entraîner l’exclusion, la persistance et dans quelques cas la reprise du matériau terre. A la recherche d’une rupture, une attention particulière est portée sur les incidences de la société industrielle avec le cas particulier de l’attrait pour les résidus d’architectures de terre des résidences secondaires en France,  la complexité des incidences des modifications politiques et économiques induites par le colonialisme dans le sud du Maroc et la renaissance de l’adobe au sud-ouest des USA.

L’étude des interventions des architectes ou ingénieurs  débute par un inventaire de 151 actions. Quelques rares réussites correspondent à des opérations institutionnelles. Pour toutes les autres on relève des réalisations peu importantes (quantitativement), des différences entre projets et constructions et la répétition de nombreux essais souvent similaires et sans suite. L’analyse des blocages techniques dément le discours de « glorification de la terre » : il aboutit au constat que la terre est un produit peu résistant, fragile, non isolant, difficile à mettre en œuvre et donc d’un coût élevé. Par ailleurs des blocages idéologiques sont fréquents. Les échecs des architectes et ingénieurs s’expliquent par le caractère contraignant et répressif de leur organisation mais surtout par leur coupure d’avec la réalité socio-économique contemporaine car ils sont porteurs d’un discours idéologique culturaliste ruraliste (les PVD n’étant alors que jardin de l’occident), alors que les populations concernées ont envie d’intégration dans la modernité.

En conclusion l’avenir de la création d’architectures vernaculaires en terre est énoncé après avoir constaté, par des études de bidonvilles et de banlieues de villes, la mise en place d’un ordre mondial et urbain où règnent le béton et le parpaing de ciment : la terre ne se maintiendra dans les parties des PVD éloignées des villes que parce qu’elle est une obligation pour les plus pauvres.

En ce qui concerne les architectes et ingénieurs la terre « support des mythes » induira des constructions de la part de quelques institutions, d’une clientèle de luxe fascinée par le vernaculaire, de marginaux pratiquant l’auto construction et de celles qu’ils produiront pour leurs propres besoins. Dans le domaine de l’habitat économique leurs actions seront limitées à des architectures de papier (expositions, séminaires, publications diverses…), la répétition des essais, expérimentations et échecs similaires à ceux que l’on a étudiés et quelques « réussites » géographiquement limitées à quelques pays moins avancés ou des zones rurales des PVD où l’usage de ce matériau est encore commun, c'est-à-dire là où la misère permettra que la contrainte s’exerce.

NOTE 2018. La visite de deux expositions concernant la construction en terre (« Terres de Paris » à l’Arsenal et « Terre d’ici » à Arc en rêve à Bordeaux) m’incite à diffuser une copie informatique de cette thèse tant elle reste d’actualité 34 ans après sa rédaction.