Un siècle de colonisation

À propos

Monographie du fonds Jean Dresch.

"On prête à Disraeli, qui est à la mode, une définition de la statistique. Il y a, aurait-il dit, trois degrés dans le mensonge. A la base le mensonge simple, ingénu. A un degré plus élevé le mensonge diabolique, deviled lie. Le troisième degré c'est la statistique.
D’autres ont dit plus gravement qu’on pouvait tout tirer des statistiques en les interprétant, leur faire dire n’importe quoi. Admirable matière à mauvaise foi.
Il ne faudrait pas partir de là pour mépriser les statistiques en soi. Il y a sûrement des manières prudentes de les manier.
Le public américain s’en nourrit volontiers ; et l’homme d’affaires américain les digère avec fruit. Mais le public français, en matière de chiffres, est nettement dyspeptique. Il sympathise avec la boutade de Disraéli.
Sur l’évolution de l’Algérie entre 1830 et 1930, le gouvernement général, à périodes fixes, a publié ses statistiques, démographiques, agricoles, minières, industrielles, commerciales. Une énorme bibliothèque, que les services compétents, à propos du centenaire, ne manqueront pas de condenser en gros volumes.
Ces gros volumes sont, bien entendu, une mine de renseignements intéressants. Ils sont faits pour être consultés : mais non pas pour être lus.
La prétention, à propos du centenaire, de raconter la croissance de VAlgérie dans un petit livre qui serait lu; cette prétention est probablement outrecuidante.
Mais si on a eu Vimprudence de ne pas reculer devant la tâche, les statistiques sont d'un faible secours. On n'évoque pas la réalité vivante avec des chiffres et des détails techniques.
L'auteur a vécu en Algérie une trentaine d'années, ce qui est une fraction assez considérable du siècle. Quoiqu'il soit un érudit de profession, il lui a semblé qu’il y avait là une occasion de renoncer autant que possible à la documentation par fiches. Ce ne serait pas la peine d’avoir vu de ses yeux, d'avoir respiré l'atmosphère, d’avoir vécu le phénomène, si on devait s’imposer de le décrire par ouï-dire. On fera donc largement appel aux impressions personnelles et aux souvenirs. On n'essaiera pas d'être complet. L'Algérie est tout de même trop grande et trop diverse ; son évolution, extrêmement rapide, a été trop complexe, trop enchevêtrée, pour qu'on puisse espérer en tracer une image à la fois complète et vivante.
On se propose de choisir des cas déterminés, restreints, des cas d'espèces qui puissent être analysés pour ainsi dire au microscope, dans leurs détails menus ; le petit détail humain est seul capable de faire surgir à l'imagination une représentation de la vie."

Extrait de l'avant-propos de l'ouvrage.