Cyberféminités et stratégies de résistance

À propos

Cette recherche s’articulera autour des possibilités de résistance qu’offrent ou non ces figures, afin d’amorcer un questionnement sur le paradoxe entre cyberféminités oppressives et émancipatrices, à la porosité entre ces deux pôles supposément opposés. À cet égard, la figure de Lara Croft (voir chapitre II-1.2) en est un exemple très parlant : autonome et courageuse, elle porte des qualités genrées habituellement au masculin tout en étant un personnage extrêmement stéréotypé et sexualisée au féminin. Quels sont les figures émancipatrices et les protocoles critiques pertinents aujourd’hui ? Quelles attitudes adopter en ligne pour avoir une posture critique et réfléxive, comment performer et représenter le genre féminin en ligne de façon subversive ? Comment jouer et détourner des normes dominantes pour mieux les dénoncer, et construire des protocoles (techniques, imaginaires, culturels, politiques) émancipateurs et inclusifs ? Comment utiliser ces cyberféminités dominantes afin d’en faire des figures de résistance ?

Pour mener cette réflexion sur la construction de l’identité genrée au féminin en ligne, nous nous appuierons sur un corpus d’objets d’études variés, en considérant des œuvres produites par des artistes post-internet féministes (Tabita Rezaire, Molly Soda, Jennifer Chan, Erika Scourti et Gabrielle Stemmer) et des avatars féminins évoluant dans des environnements en ligne (Lara Croft, jeux de mode...). Ces formes de cyberféminités, critiques ou non, nous serviront d’appuis concrets pour développer notre réflexion. Un travail historique a été nécessaire pour situer au mieux cette recherche, ce qui diversifie ce corpus en y amenant des objets ne traitant pas ou n’évoluant pas sur internet (fanzines, vidéos, films). Dans un objectif de recherche-création, et pour donner à ces questionnements un écho et une forme différentes, mon propre travail plastique de vidéo sera également abordé.

Ce corpus d’objets d’études, majoritairement issus de la cyberculture , constitue5 une série de prises le long d’un parcours explorant la multiplicité des formes de cyberféminités présentes en ligne, la diversité de leur processus de création et de diffusion ainsi que de leurs usages. Nous nous attarderons toutefois plus spécifiquement sur certains cas, pour ne pas survoler les enjeux essentiels inhérents à ces objets. Ce sont majoritairement des contenus hypertextuels, au sens qu’en donne la chercheuse Jaishree K. Odin : "J’utilise spécifiquement le mot hypertexte pour décrire des narrations filmiques ou électroniques dans lesquelles la discontinuité est une stratégie artistique majeure, mais je l’utilise également comme métaphore pour décrire la complexité de la culture post-moderne, où différentes cultures, discours, et médias sont en constante interaction les uns avec les autres."
Afin de nous situer dans une filiation théorique et de mieux analyser nos objets d’études, notre appareil théorique sera également diversifié. Les théories féministes liant études de genre et technologies sont à la base de cette réflexion, avec les ouvrages d’autrices issues du mouvement cyberféministe des années 1990 comme Cornelia Sollfrank, Sadie Plant ou Yvonne Volkart, et d’autrices actuelles avec une théorie plus intersectionnelle comme Lisa Nakamura, Helen Hester ou Safiya U. Noble. Plus largement, nous nous appuierons sur des textes et concepts issus des études autour des technologies de l’information et de la communication, comme ceux du théoricien Lev Manovitch ou de Pierre Lévy. Certains textes plus anciens et non affiliés aux technologies nous seront utiles afin d’établir un historique de certaines pratiques : nous utiliserons notamment des écrits situationnistes et issus du mouvement punk.
De plus, il est nécessaire de noter qu’une partie des références utilisées ne sont pas des écrits universitaires et théoriques, mais des sites internet ou des blogs servant d’archives d’une cyberculture passée ou actuelle.